Forces et Opportunités du Crowdlending
- Etienne
- 20 mars 2017
- 9 min de lecture
Chapitre III – Challenges à dépasser et préconisations pour s’imposer dans le paysage du financement aux entreprises
3.2- Les forces et les opportunités du secteur
Après avoir vu les points impactant négativement le financement participatif nous allons étudier les forces et les opportunités du secteur. Cette analyse découle des deux premiers chapitres. Les propositions de valeur du crowdfunding reposent sur les forces de son modèle. Bien exploitées, les opportunités permettront de se renforcer face aux acteurs traditionnels et de faire la différence entre les plateformes. Cette analyse permettra de connaître les points de confort du secteur et d’envisager son développement dans les prochaines années.
2.1 – Sur quelles forces le financement participatif se développe-t-il ?
Dans la partie consacrée au fonctionnement des plateformes nous avons vu les caractéristiques particulières de ce modèle de financement. A l’origine, les plateformes ont cherché à offrir une nouvelle source de financement pour les PME en facilitant l’accès au crédit tout en permettant aux épargnants de donner plus des sens à leur épargne en investissant directement dans l’économie réelle. Le crowdlending veut offrir une solution qui se distingue des acteurs actuels en misant sur la facilité d’utilisation, sa souplesse et l’aspect social. Des opportunités se forment autour du secteur et il est primordial que les intéressés s’en saisissent pour poursuivre leur croissance et atteindre une taille suffisante pour s’imposer dans le monde du financement des petites et moyennes entreprises.
Une des caractéristiques communes des fintech est la façon dont elles se construisent autour du client. Leurs interfaces sont simplifiées et orientées clients. Avoir réussi à créer une solution simple pour émettre des crédits est l’une des principales forces du secteur. Le mécanisme est simplifié et les aspects bureaucratiques et administratifs sont limités. Jusque en 2014, accorder un crédit était une exclusivité bancaire. Les démarches étaient souvent perçues comme contraignantes et longues. Grâce à la persévérance des premiers acteurs et au succès du modèle à l’étranger, le financement participatif a fait bouger les lignes et a brisé le monopole bancaire. L’automatisation des opérations a permis de faciliter les démarches et d’accélérer le traitement des dossiers. Ceci permet aux plateformes de mettre à disposition des entreprises des fonds collectés auprès d’un public réceptif dans un laps de temps très court comparé aux solutions qui prévalaient jusqu’alors. La rapidité d’exécution permet d’attirer les dirigeants de TPE et de PME. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, contrairement aux grandes entreprises ces petites structures sont soumises à l’évolution plus volatile de leur activité et leur besoin de financement peut évoluer rapidement. L’argument de la rapidité de mobilisation du prêt et la simplicité des démarches est donc une des forces sur lesquelles le crowdlending se construit.

A partir du moment où l’entreprise est éligible aux critères imposés par la plateforme, celle-ci peut adresser l’ensemble des demandes de financement. Les prêts étant accordés sans garantie, ils peuvent financer n’importe quel type de projets. Cette distinction majeure par rapport au financement bancaire qui privilégie les crédits d’équipements ou immobiliers est une vraie force pour le crowdlending. Nous avons vu qu’en France les banques répondent dans une grande majorité des cas positivement aux demandes de crédits associés à un projet d’acquisition d’actifs tangibles. Mais l’investissement immatériel représente une part de plus en plus importante des besoins de financements des entreprises. La capacité des plateformes à pourvoir y répondre positivement leur procure un certain avantage. Le calcul du risque diffère entre ces nouveaux acteurs et les banques. Celles-ci réfléchissent en termes de risque pondéré. C’est-à-dire qu’un prêt avec un collatéral aura un poids plus faible qu’un prêt sans garantie et sera donc plus facilement accordé. Les accords de Bâle réglementant le niveau de risque que peuvent prendre les établissements bancaires, ils encouragent ces derniers à privilégier un crédit adossé à un actif. Les intermédiaires en financement participatif eux basent leur calcul du risque uniquement sur les résultats de la société et non sur l’objet du crédit. Ainsi si les résultats sont satisfaisants, que les perspectives de croissance sont bonnes et que le projet parait cohérant le prêt sera accordé, à condition bien sûr que le projet emporte l’adhésion des prêteurs. Cette approche du risque permet de financer des projets plus risqués et d’attirer les dirigeants d’entreprises qui cherchent des solutions pour financer des projets digitaux, telle la construction d’un site web, des projets marketing, des travaux ou encore le besoin en fonds de roulement en période de croissance.
Dans la situation actuelle des taux bas la perspective de rendements élevés est une force pour attirer les prêteurs sur les plateformes de prêts. Nous avons calculé le rendement que pouvaient espérer les particuliers. Malgré le fait que ce rendement est moins élevé qu’escompté il en demeure compétitif. De plus, allouer directement son argent à des entreprises choisies est une véritable innovation dans le monde de l’épargne. La réduction de l’intermédiation associée à des rendements supérieurs à ceux de la plupart des placements est une force sur laquelle le crowdlending s’est construit. Attirer des investisseurs ne semble donc pas être un problème pour le financement participatif. Le profil des investisseurs tend d’ailleurs à se diversifier. De plus en plus d’institutionnels sont attirés par les rendements proposés sur les plateformes. Ainsi, dès 2015, Groupama Banque a noué un partenariat avec Unilend pour prêter sur la plateforme aux PME et TPE française jusqu’à 100 millions d’euros sur 4 ans. Dans une moindre mesure, Allianz a déclaré vouloir investir entre 5 et 10 millions sur 4 ans sur la plateforme Lendosphère. Cet attrait de la part de grands groupes apporte une certaine légitimité au secteur du financement participatif. Ceci soulève néanmoins la question de la limite du modèle de crowdlending au sens premier du terme : le financement par la foule. En effet si les institutionnels viennent à investir régulièrement au côté des particuliers il faudrait voir dans quelle mesure afin de préserver le modèle d’origine. Cette capacité à attirer des fonds est clé pour le financement participatif et vient renforcer son développement.

L’analyse menée au cours des parties précédentes nous a permis de mesurer l’importance de l’Etat dans le déploiement du financement participatif. Pour faire face aux établissements bancaires bien établis et rompre le monopole en place depuis des décennies le soutien du gouvernement était indispensable. Mais ce soutien ne s’est pas arrêté à la promulgation du décret en octobre 2014. Le gouvernement a continué à s’intéresser à l’essor du secteur et a voulu faire une loi évolutive pour adapter le décret aux demandes qui sont apparues au fur et à mesure de sa croissance. L’amendement apporté en octobre 2016 au texte de 2014 qui a permis notamment d’augmenter les seuils des montants prêtés et de créer les minibons prouve la volonté des pouvoirs publics d’accompagner ce mouvement. Ces réformes ont notamment été portées par l’ancien ministre de l’Economie Emmanuel Macron. Vincent Ricordeau, co-fondateur de Lendopolis, souligne d’ailleurs à ce propos qu’ « il faut [] féliciter toute l’équipe du ministre de l’économie qui a su se battre pour faire passer cette réforme progressiste » (Ricordeau, 2016). Le soutien du gouvernement est une vraie force pour le secteur et lui permet de croître dans un cadre juridique favorable.
Depuis 2014 le financement participatif s’est développé sur ces forces, indispensables, ce modèle n’aurait pas pu connaître une telle croissance sans elles. Pour réussir maintenant son expansion, le secteur doit saisir les opportunités qui se présentent et réussir à en tirer profit.
2.2- Quelles opportunités se présentent au financement participatif ?

Au lendemain de la crise financière la réglementation du système bancaire s’est renforcée. Nous avons vu dans le chapitre 2 qu’en 2010, la mise en place des accords de Bâle 3 a contraint les banques à revoir leur gestion du risque et a en conséquence augmenté les contraintes pour celles-ci. En Europe cela s’est traduit par une baisse des encours des crédits aux sociétés non financières. Ce phénomène a été plus ou moins marqué selon les pays. Le Royaume-Uni a connu la plus grosse baisse d’encours des crédits des pays européens de 2008 à 2014. En parallèle, le Royaume-Uni est devenu le premier marché européen du financement participatif (Dumas, 2015). Ceci est en partie dû à une réglementation plus souple pour les acteurs d’outre-manche mais cela démontre également que cette nouvelle solution de financement répond à une carence d’offres de la part des acteurs traditionnels. En 2015, c’est plus de 1 490 millions de livres sterling qui ont été collectés sur les plateformes britanniques pour financer leurs PME. Ceci représente une augmentation de 99% par rapport à l’année 2014 avec 749 millions de livres collectés auprès de particuliers et d’institutionnels, après une augmentation de 288% entre 2013 et 2014 avec 193 millions de livres collectés.
Le comité de Bâle semble de nouveau vouloir s’attaquer aux réglementations bancaires. S’il venait à décider une nouvelle augmentation des ratios de solvabilité cela entraînerait automatiquement un resserrement des crédits. Si les banques doivent mobiliser plus de fonds propres pour se prémunir du risque elles seront moins enclines à accorder des prêts surtout si la conjoncture des taux bas perdure. En effet, les taux étant historiquement bas, les banques ne se rémunèrent que très peu sur les crédits. Une probable réforme de la réglementation internationale bancaire est une opportunité pour le financement participatif. Une accentuation du resserrement des crédits bancaires associée à une reprise économique et donc probablement à une augmentation des demandes d’investissements seraient de bon augure pour les plateformes de crowdlending. Si la situation se produit, elles devront saisir l’occasion pour s’imposer comme un moyen de financement incontournable pour les entreprises.
Comme nous l’avons mentionné précédemment l’industrie du crowdfunding bénéficie du soutien du gouvernement. C’est bien entendu une force mais c’est également une opportunité car ça élargit les perspectives d’application du financement participatif. On peut imaginer que la réglementation continuera d’évoluer de façon à l’adapter à l’émergence de nouveaux besoins et de s’inspirer de ce qui se fait dans les autres pays. Faire évoluer la législation rapidement est clé pour s’imposer durablement et éviter que certaines plateformes étrangères avec plus de ressources viennent concurrencer les plateformes françaises avant que celles-ci ne soient bien établies.

La création des minibons, bons de caisse dédiés à ce mode de financement, en octobre 2016 est un exemple de l’opportunité offerte par une réglementation évolutive en faveur du crowdlending. Elle permet aux gestionnaires des plateformes de créer de nouveaux outils pour affermir leur produit. Bien exploité le potentiel des minibons est grand. Ils peuvent par exemple permettre de cibler de nouvelles structures d’entreprises, d’échanger les titres de créances ou encore permettre d’attirer plus facilement des investisseurs institutionnels. Cela démontre que les « crowdlenders » et autres acteurs du financement doivent être proactifs, créatifs et ils doivent savoir tirer profit d’un cadre législatif favorable à leur essor. Une réglementation souple permettra au secteur de gagner du temps en évitant les conflits avec le système législatif auxquels sont confrontés beaucoup d’acteurs dits « disprutifs » dans d’autres secteurs d’activité. Ceci est conditionné par la nécessité de maintenir un niveau de confiance élevé entre les différentes parties prenantes.
Les minibons facilitent le déploiement de la technologie blockchain. Cette technologie émergeante
est aujourd’hui difficile à définir tant ses applications sont variées et son fonctionnement complexe. Nous avons vu dans le chapitre 2, partie 2 que cette technologie peut être assimilée à un registre virtuel décentralisé qui enregistre toutes les transactions électroniques entre deux parties. Appliqué au financement participatif, la blockchain permettrait un gain de temps considérable, une meilleure perception du risque et permettrait de rendre l’offre plus liquide. L’enregistrement de toutes les transactions permet en effet une automatisation des opérations et rend les transactions « inviolables » car une fois enregistrées un nouveau « bloc » se crée et elles sont inscrites définitivement dans le registre. Le bloc créé va alors rejoindre les blocs existants et former une chaîne d’information. Lors de futures transactions cette chaîne sera ensuite « consultée » pour déterminer si la transaction est validée ou non. Ce système est complètement décentralisé ce qui empêche toute falsification. Pour le crowdequity et le crowdlending les titres de propriété ou de créances seraient alors enregistrés et donc facilement identifiables et transmissibles.
La technologie a la capacité de réduire les coûts de transactions à un coût quasiment nul grâce au système décentralisé où l’humain n’interfère que très peu. Le rôle de l’homme se limiterait alors à celui d’un donneur d’ordre. Au sujet de la gestion du risque de défaut la chaîne des blocs permettrait de réduire l’incertitude grâce à son fonctionnement transparent. Aujourd’hui les plateformes disposent d’une information imparfaite. La possibilité offerte par la blockchain de vérifier les transactions d’une PME ou d’une TPE permettrait de réduire considérablement le taux de défaut en disposant d’une information fiable et complète. Pouvoir mieux contrôler le niveau de risque est une réelle opportunité pour les plateformes qui basent leur modèle sur la confiance fondée sur un taux de défaut maîtrisé.
Cette technologie est aujourd’hui à l’état d’expérimentation mais nous avons vu que les outils se mettent peu à peu en place pour permettre son exploitation. La société de conseil Accenture estime que le premier secteur impacté sera l’industrie financière. L’adoption des premiers usagers, les « early adopters » devrait se poursuivre en 2017 et la technologie devrait être adoptée massivement d’ici 2025. Le financement participatif doit saisir l’opportunité d’implanter cette technologie innovante pour développer un avantage concurrentiel. Ceci permettrait de consolider l’une de ses principales forces : la vitesse d’exécution et réduirait le risque de perdre la confiance des prêteurs.
Nous avons regroupé l’ensemble des forces, faiblesses, opportunités et menaces du secteur dans une matrice SWOT. Analyser les forces et les faiblesses du modèle actuel du financement participatif et identifier les menaces et les opportunités autour du secteur nous permet d’élaborer des recommandations pour que cette solution innovante puisse continuer son développement et s’affirmer dans le paysage des financements aux entreprises.
Ces préconisations doivent nous permettre d’anticiper les menaces pour s’en prémunir et de sécuriser les faiblesses. En s’appuyant sur ses forces, le crowdlending doit se déployer en exploitant les opportunités qui se présentent.
Retrouvez mes recommandations dans mon prochain post la semaine prochaine !
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