Politique de la BCE & Epargne des Français
- Etienne
- 27 févr. 2017
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Chapitre II – L’essor du financement participatif est-il conditionné par l’environnement macroéconomique ?
2. - Facteurs macroéconomiques influençant le financement participatif
2.2. L’impact de la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne
La Banque Centrale Européenne (BCE) a cherché à réduire les impacts de la crise financière de 2008 en mettant en place une politique monétaire radicale. Dès le début de la crise, la BCE a réduit drastiquement son taux directeur le faisant passer de 4,25% en juillet 2008 à 1% en mai 2009 (Banque Centrale Européenne, 2016). Le taux directeur est le taux auquel se refinancent les banques auprès de l’institution. Ce taux sert d’indicateur pour fixer les taux du marché interbancaire et du marché des prêts accordés aux particuliers et aux entreprises. En abaissant ce taux, la BCE a cherché à diminuer fortement le coût du crédit pour encourager la consommation et les investissements

Depuis mars 2016, ce taux est nul. Pour forcer les banques à prêter dans cette période incertaine, la BCE a également diminué radicalement le taux de dépôt appliqué aux liquidités déposées par les établissements bancaires auprès de la banque centrale. Le président de la BCE, Mario Draghi, a même suscité de nombreuses réactions en annonçant en juin 2014 un taux de dépôt négatif. Ce taux a continué de baisser depuis et est aujourd’hui à -0,4%. Ceci signifie qu’aujourd’hui les banques paient des intérêts sur leur dépôt au lieu dans recevoir. Cette politique laisse entrevoir deux solutions aux banques : diminuer leur liquidité en prêtant pour limiter les dépôts ou appliquer un taux négatif à leurs clients ce qui semble délicat à mettre en place pour ne pas faire fuir les clients.
Enfin, la BCE a continué son plan de relance de l’économie européenne en inondant le marché de liquidité. En 2015, Mario Draghi a annoncé son plan Quantitative Easing ou assouplissement quantitatif. L’objectif de ce plan est de racheter aux banques chaque mois pour 80 milliards d’euros de dettes de bonne qualité (investment grade) pour offrir de nouvelles liquidités aux banques. La Banque Centrale Européenne a donc créé un environnement dans lequel il y a beaucoup de liquidité mais où il est couteux pour les banques de ne pas investir ou prêter son argent en raison des taux négatifs de dépôt. Cette stratégie a pour conséquence un environnement de taux bas qui affecte directement les entreprises et l’épargne des particuliers (Chocron, 2016).

Cette politique se confronte toutefois aux réglementations imposées par Bâle 3 telles que nous les avons vues précédemment. Les banques ne sont pas disposées à prendre plus de risque et le coût du crédit accordé aux PME reste supérieur à celui des grandes entreprises. De plus les mesures de la BCE concernent toute la zone euro. Or si celle-ci n’a pas retrouvé son niveau de crédit d’avant-crise, ce n’est pas le cas de la France. Depuis 2011, l’encours des prêts aux PME a retrouvé son niveau de 2007 et continue de progresser, bien qu’à un rythme limité. En France, le problème semble donc se concentrer plutôt sur l’insuffisance de la demande de prêts que sur un manque d’offres. Le manque de visibilité sur l’avenir et sur les perspectives de croissance freine les entreprises dans leur développement. Elles se montrent frileuses à engager d’importants investissements malgré l’environnement des taux bas. L’impact de la politique monétaire de la BCE sur le crédit aux entreprises est donc à nuancer sur le marché national français.
Si la BCE ne réussit pas à relancer la demande de crédit de la part des entreprises sa politique affecte tout de même les entreprises et les particuliers. La diminution des taux à des minimums historiques a modifié la perception du coût du crédit. S’il était concevable en 2007 de s’endetter pour un taux supérieur à 5% cela paraît très cher aujourd’hui. Avec un taux du crédit moyen de 4,90% (toutes entreprises confondues) en janvier 2008 contre 1,68% en avril 2016, les entreprises étaient prêtes à payer plus pour se financer en comparaison à aujourd’hui (Banque de France, 2008 et 2016). Les entreprises ont intégré la baisse des taux dans leur réflexion et refusent de se financer aux taux d’il y a quelques années. Ceci impacte également fortement les sociétés de gestion qui doivent trouver de nouvelles cibles dans lesquelles investir pour assurer une certaine performance aux investisseurs et les conduisent à prendre plus de risques. Les plateformes de crowdlending rencontrent les mêmes difficultés. Il leur est difficile de convaincre les entrepreneurs de se financer à des taux compris entre 5 et 10%. Beaucoup d’entrepreneurs réfléchissent en termes de coût plutôt que de rendement. Ainsi la diminution des taux a un impact « psychologique » sur ce que doit coûter « normalement » un emprunt et constitue un frein à la fois pour les acteurs proposant des taux supérieurs à ceux du marché et aux entrepreneurs qui n’imaginent pas se financer au-delà d’un certain taux. Pourtant certaines corporations rencontrent des difficultés pour obtenir un prêt avec un faible taux auprès de leur banque et prennent le risque de ne pas trouver le financement nécessaire à leur développement.
Enfin, la politique monétaire conduite par la BCE a attaqué la marge des banques. Avant l’intervention de la Banque Centrale, les établissements de crédits réalisaient leur marge grâce à la différence des taux entre les prêts de court terme et ceux de long terme. Ces derniers, plus risqués, permettaient une rémunération plus élevée. Les banques transformaient les ressources de court terme en crédits de long terme. C’est cet écart de taux, qu’on appelle la pente des taux, qui permet de créer de la marge. Mais la chute des taux entraine un resserrement du coût de la dette court terme et de la dette long terme et le cœur de métier des banques est mis en difficulté. Aujourd’hui les établissements bancaires ne se rémunère presque pas sur les prêts. La rentabilité des petites banques de dépôt est menacée. Elles doivent refonder leur modèle commercial pour proposer de nouveaux services et facturer des commissions. La politique de la BCE risque finalement d’encourager les banques à délaisser le prêt au profit d’autres services plus rémunérateurs. Ceci est une opportunité pour les autres acteurs financiers qui peuvent alors prendre la place des banques lorsque celles-ci se retirent.
La Banque Centrale Européenne a bousculé le marché européen du crédit. La baisse des taux avait pour but de relancer les investissements en Europe en allégeant le coût du crédit. Le résultat est contrasté car si l’encours des crédits augmente en France ce n’est pas le cas de la zone euro prise dans son ensemble. Les entreprises réfléchissent en termes de coût et se focalisent sur l’espérance de pouvoir se financer pour pas cher. Elles envisagent difficilement des solutions alternatives qui offrent d’autres bénéfices mais qui sont plus couteuses. Enfin, la baisse des taux met à mal le système des banques de dépôt et de crédits et les forcent à faire évoluer leur modèle. Si la marge des banques ne s’améliore pas, on peut émettre l’hypothèse qu’elles pourraient se désengager des crédits au profit d’autres acteurs.
2.3 L’Epargne des français : une ressource importante de fonds
La France a le deuxième taux d’épargne le plus élevé d’Europe derrière l’Allemagne. Le patrimoine financier des français atteignait la somme de 4 460 milliards d’euros fin 2015. Sur ce montant, 700 milliards d’euros concerne l’épargne réglementée. L’épargne réglementée comprends les livrets A et bleus, les livrets de développement durable et d’épargne populaire, le compte épargne logement, le livret épargne entreprise et le plan d’épargne logement (PEL). Les livrets A et de Développement Durable sont très appréciés des français pour leur aspect non risqué et la liquidité qu’ils offrent. Ils représentent près de 60% de l’épargne réglementée (Observatoire de l'Epargne Règlementée, 2016). Cependant, la politique de taux bas initiée par la BCE a été répercutée sur l’épargne des français. De plus, malgré les efforts de la BCE l’inflation est nulle en 2015 et le taux du livret A est légiféré et est directement corrélé à l’inflation. Le taux est déterminé à partir de la valeur la plus élevée entre les deux formules suivantes :

Et :


L’Euribor est un taux publié par la Fédération bancaire de l’Union européenne qui reflète le taux moyen auquel un échantillon de 57 banques, opérant en Europe, prêtent pour une échéance donnée (ici 3 mois). Le taux Eonia (Euro OverNight Index Average) est le taux de référence quotidien des dépôts interbancaires. L’inflation est calculée par rapport à l’augmentation des prix d’une période à l’autre.
En conséquence de la baisse des taux, les épargnants ont vu la rémunération de leur dépôt sur le livret A passée de 3% en 2007 à 0,75% en 2015. Le taux du livret A aurait toutefois dû être revu à la baisse en 2016. En effet, d’après la formule de calcul du taux, si en 2015 l’inflation était de 0 la rémunération du livret privilégié des français aurait dû être abaissée à 0,25%. Le gouvernement a toutefois décidé de le maintenir à 0,75% pour renforcer le pouvoir d’achat. Le taux de dépôt auprès de la BCE étant négatif, cette décision a forcément un coût pour les banques.
Il est intéressant de noter que les français ont cherché à s’adapter à la baisse des taux en changeant leurs habitudes d’épargne. On observe ainsi en 2015 une diminution des encours sur les livrets A et une forte augmentation des placements sur les PEL, plus rémunérateurs. L’encours du PEL a augmenté de 24 milliards d’euros ce qui représente une croissance annuelle de +11,1%. Dans la même période, l’encours des livrets réglementés a diminué de 2,1%.


Plus marquant encore, le poids de l’assurance-vie dans la part du patrimoine financier des français a fortement augmenté. Aujourd’hui l’assurance-vie représente 37% des placements contre 32% en 2005. Les français sont attirés par le rendement attractif du placement et par son risque limité grâce à la mesure garantissant le capital. Les épargnants privilégient en effet à plus de 80% les supports en euros plutôt que les supports en unité de compte plus risqués et qui ne garantissent pas le capital investi. Le rendement moyen des premiers était de 2,3% en 2015 (contre 2,5% en 2014). Toutefois, la rémunération des fonds en euros est amenée à baisser si les taux restent bas car les contrats d’assurance-vie sont constitués d’obligations qui voient leur coût diminuer d’année en année. On peut d’ailleurs observer en 2015 une augmentation des encours en unité de compte ce qui illustre bien le fait que les épargnants sont prêts à prendre un peu plus de risque pour s’assurer un certain niveau de rendement.

Plus étonnant, l’augmentation des encours sur les dépôts à vues, autrement dit sur le compte courant des particuliers. L’encours a augmenté de 35,7 milliards d’euros de 2014 à 2015, ce qui représente une croissance annuelle de 10%. Ceci peut s’expliquer par une crainte d’un manque de liquidité. En effet, le compte courant est généralement associé aux différents moyens de paiement. Disposer d’une somme suffisante pour faire face aux imprévus semble rassurer nombre de français. Pourtant les moyens de faciliter les transactions entre les livrets et son compte courant se démocratisent. Il est aujourd’hui aisé de transférer son argent d’un compte à un autre depuis son compte bancaire en ligne ou même via les applications mobiles. Toutefois ces possibilités ne semblent pas inverser cette tendance. Le taux très bas des livrets offrant de la liquidité n’encouragent également pas les épargnants à placer leur argent. La faible rémunération attendue sur le livret A par exemple ne pousse pas à transférer l’argent perçu pour l’optimiser. Ceci est peut-être aussi dû à un problème d’éducation sur la question des taux. En effet, paradoxalement le taux du livret A n’a jamais été aussi élevé par rapport à l’inflation. En effet, il est actuellement 0,75% supérieur à l’inflation contre 0,25% d’ordinaire et rémunère donc plus qu’il y a quelques années par rapport à la hausse des prix.
On note deux tendances opposées dans la gestion de l’épargne des français. D’un côté, certains épargnants ne cherchent pas à faire fructifier leurs économies en les laissant sur les dépôts à vue non rémunérés. D’un autre côté certains épargnants cherchent à optimiser leur argent en substituant les livrets peu rémunérateurs par des solutions aux rendements plus élevés. Cette dernière tendance semble être plus importante que la première. Les dépôts à vue bien qu’en progression représente 10,1% des placements financiers totaux contre 37,2% pour l’assurance-vie. Les français ont une certaine aversion au risque et ressentent le besoin d’avoir des actifs liquides. Mais ceux qui cherchent à optimiser leur épargne sont confrontés à des difficultés en raison de la baisse des taux. Ainsi reporter l’argent de son livret A sur un Plan d’Epargne Logement est une solution de court terme car ce placement a également été impacté et a vu sa rémunération passée de 2% en 2015 à 1% en 2016 après deux baisses au cours de l’année (les montants placés avant la diminution des taux restent toutefois rémunérés aux taux antérieurs). Il en est de même pour les contrats d’assurance-vie en fonds euros qui voient leur rémunération fondre petit à petit. Par ailleurs, la loi Sapin 2, en cours de discussion au parlement prévoit des dispositifs qui concernent l’assurance-vie. Le projet de loi prévoit la possibilité de « restreindre temporairement la libre disposition de tout ou partie des actifs » en cas de crise grave afin de préserver la stabilité financière. Ce placement prisé des français risque de perdre de son attrait si sa liquidité est menacée. On peut faire l’hypothèse que si l’environnement des taux bas perdure et si notamment le taux du livret A s’adapte à l’inflation, les épargnants vont se tourner vers des solutions plus risquées pour chercher du rendement ce qui représente une opportunité pour le financement participatif, notamment si les conditions avantageuses de l’assurance-vie sont modifiées.
Nous étudierons dans le prochain post l’attrait du marché du financement participatif en s'intéressant plus en détails aux facteurs Politique, Economique, Social et Technologique.
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